top of page

Repenser les ODD avec l’océan : un levier pour des territoires durables

  • Photo du rédacteur: Foresteam - Actions pour l'environnement
    Foresteam - Actions pour l'environnement
  • 5 juin
  • 9 min de lecture

Les Objectifs de Développement Durable sont souvent abordés comme un catalogue d'enjeux à traiter séparément. Pourtant, à y regarder de plus près, un élément relie, influence ou conditionne chacun d'eux : l'océan. Régulateur du climat, soutien à la biodiversité, garant de la sécurité alimentaire, levier éducatif, moteur économique et espace de coopération internationale, l'océan est bien plus qu'un objectif parmi d'autres : il en est la matrice.


Dans le cadre de l'Année de l'océan et de l'UNOC3 à Nice en 2025, il est temps de repenser les ODD avec une lecture océanique. Pour les territoires, cela ouvre des opportunités concrètes, mais aussi des responsabilités inédites.


Dans cet article, nous commencerons par déconstruire l'idée reçue selon laquelle les ODD seraient indépendants et l'océan ne serait qu'un objectif parmi d'autres. Nous tenterons ensuite une lecture océanique des ODD, en analysant le rôle de l'océan comme régulateur global, matrice socio-économique et levier éducatif et culturel. Nous verrons pourquoi continuer à élaborer des stratégies de développement durable sans intégrer pleinement l'océan compromet leur efficacité. Enfin, nous proposerons des pistes concrètes pour agir avec une approche "ODD bleue" et présenterons quelques actions possibles pour les territoires et organisations souhaitant s'engager dans cette voie.


les_odd_et_l_ocean

Too Long To Read : l’essentiel en 4 points

  • L’océan influence chacun des 17 ODD, pas seulement l’ODD 14.

  • Il est un régulateur climatique, un levier socio-économique, un outil éducatif.

  • Ignorer l’océan dans les stratégies ODD, c’est compromettre leur efficacité.

  • Des solutions existent : diagnostics croisés, finance bleue, éducation océanique.


Pourquoi l’océan est central pour les ODD ?


Dans la perception commune, les 17 Objectifs de Développement Durable apparaissent comme un ensemble de défis segmentés, chacun avec son propre périmètre d'action.


L'ODD 14, dédié à la "Vie aquatique", est généralement considéré comme un simple "module écologique" isolé, au même titre que la biodiversité terrestre ou les énergies renouvelables. Cette vision compartimentée prédomine notamment lorsqu'il s'agit de hiérarchiser les priorités face aux enjeux considérés comme "majeurs" : l'éradication de la pauvreté, l'égalité des genres ou l'accès à l'éducation.


Cette perception se reflète dans nos pratiques institutionnelles et organisationnelles. Les politiques RSE des entreprises cantonnent souvent l'océan à une thématique environnementale périphérique, sauf pour les secteurs directement liés aux activités maritimes.


Les démarches de territoire durable, quant à elles, n'intègrent généralement la dimension marine que dans les zones littorales, comme si l'influence océanique s'arrêtait aux frontières administratives côtières. Même les programmes pédagogiques reflètent cette segmentation, avec des enseignements sur l'océan limités aux aspects biologiques ou géographiques, rarement connectés aux questions socio-économiques globales.


Pourtant, une analyse systémique des ODD révèle une réalité bien différente : l'océan, loin d'être un compartiment isolé du développement durable, en constitue l'une des principales matrices d'interaction. Il influence ou est influencé par chacun des autres objectifs, créant des boucles de rétroaction complexes qui dépassent largement le cadre de l'ODD 14.


Ce découplage entre l'océan et les autres dimensions du développement durable représente un frein majeur à l'efficacité des stratégies de transition. En ignorant ces interconnexions, nous concevons des politiques fragmentées qui risquent d'échouer parce qu'elles ne prennent pas en compte les effets de cascade et les synergies potentielles entre les différents enjeux.


coucher_de_soleil_sur_l_ocean

ODD et océan : une lecture systémique à trois niveaux


L'océan, régulateur climatique mondial


Lorsqu'on examine les ODD à travers le prisme océanique, une évidence s'impose : le "bleu" de notre planète assume un rôle de régulation globale sans équivalent.


L'océan absorbe plus de 90% de l'excès de chaleur généré par les activités humaines et capture environ 30% des émissions de CO₂, limitant ainsi considérablement l'ampleur du réchauffement climatique. Cette fonction régulatrice est directement liée à l'ODD 13 (Lutte contre les changements climatiques) et conditionne notre capacité collective à atteindre les objectifs de l'Accord de Paris.


La pompe biologique océanique, mécanisme par lequel le phytoplancton capte le carbone atmosphérique puis l'entraîne vers les profondeurs, constitue l'un des principaux puits de carbone de notre planète. Cette dynamique influence directement la stabilité climatique mondiale, impactant les régimes de précipitations dont dépend l'agriculture et, par extension, l'ODD 2 (Faim "zéro").


Les courants océaniques redistribuent également chaleur et nutriments à l'échelle planétaire, régulant ainsi les conditions climatiques régionales et les cycles hydrologiques. Le ralentissement observé de certains courants, comme la circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC), illustre parfaitement ces interconnexions. En transportant les eaux chaudes tropicales vers le nord de l'Atlantique, l'AMOC influence les températures de surface océanique qui déterminent l'intensité des moussons ouest-africaines et les régimes de précipitations amazoniennes. Son affaiblissement pourrait réduire significativement les précipitations dans le Sahel et certaines régions d'Amazonie. Dans des zones, où 2,4 milliards de personnes vivent déjà en situation de stress hydrique selon les données de l'ODD 6, où les populations dépendent largement des précipitations saisonnières pour l'agriculture pluviale et où les infrastructures de stockage d'eau sont insuffisantes, cette réduction des précipitations compromettrait directement l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, menaçant ainsi la réalisation de l'ODD 6 (Eau propre et assainissement).

circulation_méridienne_de_retournement_de_l_Atlantique
La circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC pour «Atlantic Meridional Overturning Circulation») - © Graphithèque/stock.adobe.com

L'océan, une matrice économique et sociale


La dimension socio-économique de l'océan est tout aussi fondamentale. Environ 680 millions de personnes, soit 10 % de la population mondiale, vivent aujourd'hui dans des zones côtières vulnérables. Un chiffre qui pourrait atteindre un milliard d'ici 2050. Ces populations dépendent directement de l'océan pour leur subsistance, leur sécurité alimentaire et leur développement économique.


L'économie bleue, qui englobe des secteurs aussi divers que la pêche, l'aquaculture, le transport maritime, le tourisme côtier ou les énergies marines, représente un potentiel considérable en termes d'emplois et de croissance durable. Ces activités soutiennent directement l'ODD 8 (Travail décent et croissance économique) dans de nombreuses régions du monde. À titre d'exemple, selon le rapport 2024 de la FAO sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, ces secteurs emploient directement plus de 60 millions de personnes dans le monde, majoritairement dans les pays en développement.


La dégradation des écosystèmes marins menace cette résilience locale. La disparition des récifs coralliens, qui abritent 25% de la biodiversité marine et protègent les côtes de l'érosion, met en péril non seulement les écosystèmes, mais aussi les moyens de subsistance des communautés côtières. L'acidification des océans, l'élévation du niveau de la mer et la pollution marine constituent des menaces directes pour l'ODD 1 (Pas de pauvreté) et l'ODD 10 (Réduction des inégalités) dans ces territoires.


peche_traditionnelle_en_asie

L'océan, un levier éducatif et culturel


L'océan offre également un formidable levier éducatif et culturel. Des programmes pédagogiques innovants comme PAREO (Pacific Awareness and Responses to Environment in Oceania, projet porté par l'IRD pour la transmission des connaissances scientifiques aux enfants de l'océan Indien et la protection des récifs coralliens), les expéditions de la Fondation Tara Océan ou le programme Ocean School de l'Office national du film du Canada, mobilisent des jeunes à travers le monde autour de projets concrets liés à l'océan.


Ces initiatives contribuent directement à l'ODD 4 (Éducation de qualité) en proposant des approches interdisciplinaires qui relient sciences naturelles, sciences humaines et savoirs traditionnels. Elles favorisent également l'ODD 5 (Égalité des sexes) en impliquant activement les femmes dans la recherche et la gestion des ressources marines, notamment dans les communautés insulaires du Pacifique, où des approches océanocentrées permettent de valoriser le rôle des femmes dans la transmission des savoirs traditionnels et la gestion durable des ressources côtières.


L'océan constitue aussi un patrimoine culturel inestimable pour de nombreuses communautés, participant ainsi à l'ODD 11 (Villes et communautés durables) en renforçant le sentiment d'appartenance et l'identité collective des populations côtières.


Ignorer l’océan, une erreur stratégique


L'absence d'une dimension océanique dans nos stratégies de développement durable compromet sérieusement leur efficacité à long terme. L'inaction concernant les milieux marins peut annuler, voire inverser, les progrès réalisés dans d'autres domaines.


Prenons l'exemple du climat : même si nous parvenions à réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, la montée des eaux liée à la fonte des glaces continuerait d'affecter les zones côtières pendant des décennies, provoquant déplacements de populations et insécurité alimentaire. De même, l'acidification des océans, conséquence directe de l'absorption du CO₂, menace les écosystèmes marins et les services qu'ils fournissent, quelles que soient nos actions futures en matière de réduction des émissions.


Les tensions géopolitiques autour des ressources halieutiques illustrent également cette interconnexion. La surpêche et le réchauffement des eaux modifient la distribution des stocks de poissons, exacerbant les conflits entre nations pour l'accès à ces ressources. Ces dynamiques impactent directement l'ODD 16 (Paix, justice et institutions efficaces).


Les collectivités, entreprises et institutions qui n'intègrent pas la dimension marine dans leur stratégie sous-estiment gravement les impacts indirects de leurs actions. Une municipalité qui ne prend pas en compte l'élévation du niveau de la mer dans sa planification urbaine, une entreprise qui ignore les risques liés à la dégradation des écosystèmes marins dans sa chaîne d'approvisionnement ou une institution éducative qui n'inclut pas les enjeux océaniques dans ses programmes : toutes compromettent leur résilience à long terme.


Les mesures isolées, qu'elles concernent le climat, la pollution ou la biodiversité, n'ont d'effet durable que si l'océan est inclus comme système-racine. L'océan joue un rôle d'intégrateur entre ces différentes dimensions. Négliger cette fonction systémique revient à construire une politique de développement durable sur du sable, vouée à être emportée par la prochaine marée.


ilot_du_pacifique

Agir avec une approche "ODD bleue"


Face à ces constats, comment intégrer concrètement l'océan dans les stratégies de développement durable ? Plusieurs axes d'action s'offrent aux territoires et organisations souhaitant adopter une approche "ODD bleue".


La première étape consiste à réaliser un diagnostic croisé ODD-océan. Il s'agit d'évaluer comment les actions prévues ou en cours influencent l'état des écosystèmes marins, mais aussi comment les changements océaniques pourraient affecter le territoire ou l'organisation. Cette analyse systémique, idéalement réalisée avec l'appui d'une assistance à maîtrise d'ouvrage spécialisée en ingénierie environnementale, permet d'identifier des risques souvent ignorés et des opportunités inexploitées.


L'intégration des risques environnementaux marins dans les projets d'aménagement ou les stratégies de compensation écologique constitue un second axe essentiel. Les documents d'urbanisme, les études d'impact et les schémas directeurs gagneraient à inclure systématiquement une dimension marine, y compris pour les territoires non littoraux. Par exemple, une communauté de communes située dans l'arrière-pays devrait considérer l'impact de sa gestion des eaux pluviales et des rejets sur les écosystèmes côtiers en aval.


Le soutien ou la participation à des initiatives d'éducation à l'océan représente un troisième levier d'action. Qu'elles soient citoyennes, scolaires ou professionnelles, ces démarches contribuent à développer une culture océanique ("ocean literacy") essentielle pour mobiliser l'ensemble des acteurs. Les aires marines éducatives, les sciences participatives ou les formations professionnelles liées à l'économie bleue offrent autant d'opportunités de sensibilisation et d'engagement.


D'autres actions concrètes méritent d'être considérées :

  • L'intégration de l'impact océanique dans les bilans carbone et les rapports extra-financiers des organisations

  • Le développement de financements innovants comme les obligations bleues ou les crédits carbone bleus

  • La mise en place de partenariats territoriaux impliquant acteurs publics, privés et société civile autour de projets liés à l'océan

  • L'adoption d'approches fondées sur les écosystèmes marins pour l'adaptation au changement climatique


Ces démarches gagnent à être accompagnées par des experts en ingénierie environnementale capables d'apporter une vision transversale et intégrée des enjeux.


affiche_projet_archipel

Conclusion : l'océan est partout


En 2025, à l'occasion de l'Année de l'océan et de la troisième Conférence des Nations Unies sur l'océan (UNOC 3) à Nice, il est essentiel de porter cette vision fondamentale : le développement durable ne se fera pas sans l'océan, car l'océan est partout.


Cette vision implique un changement de paradigme dans notre façon d'appréhender les ODD. Plutôt que de les considérer comme une liste d'objectifs distincts dont seul le quatorzième concernerait les milieux aquatiques, nous devons reconnaître que l'océan constitue une matrice transversale qui influence et est influencée par chaque dimension du développement durable.


Pour les territoires comme pour les organisations, cette approche ouvre des perspectives nouvelles en termes de résilience, d'innovation et de mobilisation collective. Elle invite à dépasser les frontières administratives, sectorielles et disciplinaires pour adopter une vision véritablement systémique des enjeux environnementaux, sociaux et économiques.


Chez Foresteam, nous sommes convaincus que cette vision intégrée des ODD, incluant pleinement la dimension océanique, représente un levier majeur pour les territoires souhaitant s'engager dans une démarche de durabilité authentique et systémique. Le projet Archipel, combinant art, finance et ingénierie environnementale, et auquel nous sommes associés, a précisément pour vocation d'accompagner cette transition vers des modèles de développement qui reconnaissent pleinement la centralité de l'océan dans l'équilibre planétaire.


C'est à cette condition que nous pourrons collectivement relever les défis du XXIe siècle et construire un avenir véritablement durable pour les générations futures.




Article rédigé en collaboration avec la Fondation ELYX, sous l'égide de la Fondation Bullukian. ELYX est Ambassadeur digital des Nations Unies et porteur du projet d'Archipel.


adeline_pilon

Adeline Pilon, co-fondatrice de la Fondation ELYX, pour promouvoir les valeurs des Nations Unies à travers l'art et l'éducation, où elle dirige des projets innovants à la croisée de la culture, de l'innovation et des ODD.

“In every territory Archipel embraces, the exhibition reveals the remarkable stories that shape each ecosystem 

and communities. Impact credits serve to amplify local initiatives, nurturing sustainable growth and creativity."


Yacine Aït Kaci

Yacine Aït Kaci, dit YAK, co-fondateur de la fondation ELYX et créateur de ELYX, petit personnage au sourire joyeux qui s'emploie à faire connaitre les ODD partout dans le monde.

“In our Post-Truth era, the only way to trust what we see, is when it doesn’t pretend to be real.”



Foresteam est un cabinet d'ingénierie environnementale qui intervient sur tous types de territoires, milieux et projets, sans spécialisation exclusive dans le domaine maritime. Nous saisissons l'opportunité de l'Année de l'océan et de notre participation à l'UNOC 3 pour sensibiliser aux interconnexions entre océan et développement durable, dans une démarche de partage et de vulgarisation des connaissances.


 
 
 

Comments


bottom of page