La France lance officiellement les premiers crédits carbone bleu labellisés en Méditerranée
- Foresteam - Actions pour l'environnement

- 18 sept.
- 9 min de lecture
À l'occasion de la 3e Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC3) de Nice en juin 2025, la France a dévoilé une première mondiale pour la finance climat : la labellisation officielle du premier crédit carbone bleu méditerranéen.
Attribuée par l’État via le Label Bas-Carbone, cette labellisation / certification consacre en un temps record – à peine cinq mois – PosBacia, partie intégrante du programme pluridisciplinaire ARCHIPEL, porté par la Fondation ELYX.
Ancré en région PACA, le programme conjugue innovation technologique, rigueur scientifique et mobilisation d’acteurs publics et privés pour protéger un écosystème vital : les herbiers de Posidonie.
Entre ancrage local, ambition globale et nouveaux horizons pour la finance bleue, retour sur les fondements, les impacts et les perspectives de ce modèle inédit.

Pourquoi les herbiers de Posidonie sont un levier clé pour la finance carbone en Méditerranée
Un rôle clé dans la séquestration du carbone en Méditerranée
Quand on évoque la finance carbone, l'imaginaire collectif se tourne immédiatement vers les forêts et leur nécessaire reforestation. Cette vision occulte une réalité scientifique majeure : les herbiers marins séquestrent 10 à 15 fois plus de carbone par mètre carré que les forêts tempérées.
En Méditerranée, les herbiers de Posidonie (Posidonia oceanica) constituent l'un des écosystèmes les plus efficaces de la planète en matière de stockage carbone. Ces prairies sous-marines, qui couvrent près de 80 000 hectares sur les côtes françaises, accumulent le carbone dans leur structure souterraine appelée « matte », un enchevêtrement de rhizomes et de sédiments qui peut atteindre plusieurs mètres d'épaisseur et persister pendant des millénaires.
Un écosystème vulnérable face aux pressions humaines
Pourtant, ces écosystèmes exceptionnels continuent de subir une pression anthropique croissante. L'ancrage des bateaux de plaisance reste la principale menace, arrachant les pousses et détruisant irrémédiablement la matte lors des mouillages sauvages.
Si la réglementation française interdit désormais aux navires de plus de 24 mètres de jeter l'ancre sur les herbiers (et à ceux de moins de 20 mètres dans des zones spécifiques soumises à un arrêté préfectoral), cette mesure ne concerne qu'une infime partie de la flotte. Plus de 90 % des 250 000 bateaux de plaisance immatriculés en région PACA échappent encore à cette réglementation. En 2024, au moins 63 159 ancrages ont été recensés, dont près d'un tiers par des navires de grande taille, mais la majorité des impacts reste le fait de la plaisance « ordinaire ».
Cette situation révèle ainsi un paradoxe : nous disposons d'un des écosystèmes de stockage carbone les plus performants au monde, mais nous manquons d'outils économiques pour en assurer la protection effective.
Un mécanisme concret de protection par la valorisation
L'expérience pionnière menée en Méditerranée française a dévoilé un modèle développé autour des herbiers de Posidonie qui démontre qu'il est possible de transformer le capital carbone en instrument économique pour sa préservation. En quantifiant le carbone stocké et les émissions évitées, et en émettant une contrepartie financière sous forme de crédits, ce mécanisme crée une incitation financière directe à la protection des écosystèmes marins.
Cette approche ouvre des perspectives inédites pour trois catégories d'acteurs essentiels :
Pour les gestionnaires d'aires marines protégées : elle devient un outil de financement pérenne qui valorise et intègre économiquement les services écosystémiques, complétant les budgets publics de plus en plus insuffisants.
Pour les acteurs de la transition écologique : elle est une démonstration concrète que l'innovation technologique sert efficacement la préservation environnementale.
Pour les collectivités littorales et décideurs publics : c'est une approche systémique qui génère des co-bénéfices multiples (protection du littoral, maintien de l'attractivité touristique, préservation de la biodiversité et lutte contre le changement climatique, investissement territoriaux, intérêts économiques renouvelés par l’innovation…).
Le premier projet de finance carbone bleu labellisé en France métropolitaine
PosBacia, une composante environnementale d'ARCHIPEL, est le premier projet de finance carbone bleu labellisé en France Métropolitaine.
Une initiative ancrée en région PACA
Au cœur de cette révolution se trouve PosBacia, la composante environnementale du programme ARCHIPEL porté par la Fondation ELYX, sous l’égide de la Fondation Bullukian. Ce projet cible un périmètre stratégique de 6 500 hectares d'herbiers de posidonie, s'étendant de La Ciotat à Menton, en excluant les zones déjà spécifiquement protégées.
Le choix de cette zone repose sur des critères rigoureux :
Présence avérée d'herbiers subissant une pression anthropique ;
Bathymétrie comprise entre 0 et -25 mètres ;
Prise en compte de la réglementation maritime ;
Potentiel d'impact maximal des actions de préservation.
L'application Donia en tant qu'innovation technologique centrale du dispositif
Donia, application développée par Andromède Océanologie, société française de recherche et d’études sur le milieu marin, est une solution numérique qui permet d'informer en temps réel les plaisanciers sur les zones d'herbiers à éviter pour le mouillage. Les données d'usage de l'application révèlent une réduction de 14 % des ancrages destructeurs lorsque l'application est utilisée par les plaisanciers. À l'échelle des 63 159 ancrages recensés annuellement, cette réduction représente des milliers de mètres carrés d'herbiers préservés.
L'innovation réside dans l'approche systémique : Donia n'est pas qu'une application de géolocalisation, mais l'élément central d'un écosystème numérique intégrant sensibilisation, contrôle, suivi scientifique et valorisation économique. C'est cette approche globale qui génère l'impact dans le cadre de ce projet.
Le Label Bas-Carbone : un mécanisme innovant mais encadré
La labellisation obtenue via le Label Bas-Carbone représente bien plus qu'une simple certification. Ce dispositif officiel français garantit la rigueur méthodologique du projet et sa conformité aux standards internationaux de la finance climatique.
Cette reconnaissance étatique valide une équation simple, mais révolutionnaire : réduction des ancrages destructeurs = préservation du carbone stocké dans la matte. Les herbiers de posidonie accumulent le carbone dans leur structure souterraine sur des millénaires.
Chaque ancrage évité préserve non seulement la plante, mais aussi ce stock de carbone millénaire menacé de libération lors de la destruction de la matte.
Serait-ce une énième mesure compensatoire ? Non, car la différence avec certains projets de compensation forestière controversés réside dans la nature même de l'action : il ne s'agit pas de créer artificiellement un puits de carbone, mais de préserver un écosystème existant dont la capacité de stockage est scientifiquement démontrée depuis des décennies.
Que mesure-t-on concrètement ? Les indicateurs d'un système rigoureux
Le succès de la labellisation de la composante environnementale d’ARCHIPEL, PosBacia, repose sur trois indicateurs mesurables et vérifiables :
La surface évitée d'abrasion constitue l'indicateur principal : chaque mètre carré d'herbier préservé du mouillage représente une quantité donnée de carbone maintenue en séquestration.
Le volume de carbone préservé traduit cette surface en équivalent CO₂, en tenant compte de la densité de carbone stocké dans la matte et du taux de décomposition évité. Cette quantification permet la création de crédits carbone commercialisables.
Le changement de comportement des plaisanciers mesure l'efficacité des outils de sensibilisation : adoption de l'application Donia, respect des zones de mouillage, évolution des pratiques d'ancrage. Ces données comportementales valident l'impact réel du dispositif sur le terrain.
Chaque année, une analyse des comportements de mouillage est effectuée pour calculer la surface évitée d’arrachage de posidonie, traduite ensuite en tonnes de carbone évitées.
« Le processus développé garantit une réduction mesurable et vérifiable de l’impact humain sur les herbiers, en se basant sur des données d’observation consolidées. »
ARCHIPEL : fer de lance de cette dynamique
Cette approche technique s'inscrit dans la dynamique plus large d'ARCHIPEL, mêlant culture, art, science, diplomatie, environnement, actions sociales, actions sociétales et innovation. Soutenu par la Fondation ELYX et l'Agence Française de Développement (AFD) et présenté lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan, ARCHIPEL illustre parfaitement le concept de "soft power environnemental".
Ce programme interdisciplinaire combine des actions scientifiques et techniques sur le terrain, des démarches artistiques et culturelles, un programme pédagogique réalisé en partenariat avec le Ministère de l'Éducation et l'intégration maximale des Objectifs de Développement Durable (ODD). Cette approche holistique amplifie l'impact d'ARCHIPEL bien au-delà de sa dimension purement environnementale.

Les chiffres clés du projet PosBacia :
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Comment la France a construit un modèle exportable de finance climat
Les pré-requis d'un système robuste
La réussite de ce modèle repose sur trois piliers fondamentaux, méthodiquement construits au fil des années :
Des données scientifiques solides : Le partenariat avec l'Université de Corse Pasquale PAOLI et Andromède Océanologie, ainsi que l'utilisation des données Medtrix, garantissent une base scientifique irréprochable. Les campagnes de cartographie, les suivis écologiques et les études de régression fournissent les données quantitatives nécessaires à la crédibilité du système.
Une technologie largement adoptée : L'application Donia bénéficie déjà d'une adoption significative par les plaisanciers, avec un taux de réduction des ancrages destructeurs de 14% constaté lors de son utilisation. Cette adoption préalable constitue un atout majeur pour la viabilité du projet.
Une coalition multi-acteurs structurée : La gouvernance partagée implique l'État, les collectivités, les agences environnementales, les fondations, les entreprises et les associations. Cette diversité garantit la légitimité, la pérennité et l'efficacité des actions menées.
Une méthodologie de déploiement en 5 étapes
Le modèle PosBacia suit une logique de déploiement systématique, reproductible dans d'autres contextes :
Délimitation de la zone projet : Identification précise des herbiers concernés, analyse des pressions anthropiques, évaluation du potentiel de préservation, benchmark des projets similaires portés avec d’autres labels.
Quantification des émissions évitées : Modélisation rigoureuse des scénarios, calcul du carbone stocké, estimation des réductions d'impact.
Obtention du label : Validation officielle de la méthodologie par les instances compétentes, garantie de conformité aux standards nationaux et internationaux.
Création d'un pool carbone : Structuration financière du dispositif, définition des modalités de génération et de vente des crédits.
Commercialisation et réinvestissement : Vente des crédits carbone, financement des actions de terrain, création d'un cercle vertueux économique et environnemental.
Des indicateurs de succès multidimensionnels
L'évaluation du projet s'appuie sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs :
Indicateurs d'impact direct : nombre de mouillages évités, surface d'herbiers préservée, tonnes de CO₂e séquestrées, évolution de la couverture végétale.
Indicateurs économiques : volume de crédits carbone générés, revenus mobilisés pour les actions de terrain, emplois créés ou maintenus dans l'économie bleue locale.
Indicateurs de gouvernance : niveau d'adoption de l'application Donia, participation des acteurs locaux, évolution des pratiques de mouillage, sensibilisation des publics.
Cette approche multidimensionnelle assure la durabilité du modèle et sa capacité à générer des co-bénéfices écologiques, économiques et sociaux.
Le projet PosBacia démontre qu’il est possible de générer des crédits carbone à impact réel, mesurable et localisé, sur des territoires marins fortement anthropisés. Il apporte une réponse à la fois :
environnementale, en réduisant une pression avérée et visible
climatique, en générant des unités carbone certifiées
territoriale, en ancrant le projet dans un bassin de vie concret
sociétale, en mobilisant plaisanciers, citoyens, scolaires, élus
scientifique, en améliorant la connaissance des herbiers de posidonie
En évitant l’arrachage des herbiers sur des millions de m², le projet contribue au maintien d’habitats critiques pour près de 25 % des espèces marines méditerranéennes, selon les études citées dans le dossier de labellisation.
Les étapes clefs du projet PosBacia :
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Conclusion : Un modèle au rayonnement international
L'obtention de ce premier label Bas carbone sur du carbone bleu méditerranéen positionne la France comme pionnière d'une approche innovante de la finance climat appliquée aux écosystèmes marins. Ce modèle, développé en région PACA autour des herbiers de Posidonie, porte en lui une ambition de réplicabilité à l'échelle du bassin méditerranéen et au-delà.
Les retombées de cette innovation dépassent le cadre environnemental strict. En conjuguant rigueur scientifique, innovation technologique et gouvernance partagée, le projet PosBacia démontre qu'une approche territoriale peut générer des impacts globaux. Cette dynamique, amplifiée par ARCHIPEL et sa dimension artistique et culturelle, illustre une nouvelle forme de diplomatie environnementale où l'action locale devient vecteur d'influence internationale.
La France, par cette initiative, ne se contente pas de préserver un patrimoine naturel exceptionnel : elle invente les outils de demain pour une économie bleue durable et ouvre la voie à une finance climat adaptée aux spécificités méditerranéennes. Un modèle appelé à essaimer bien au-delà de nos côtes.
Ce que la France vient de poser en Méditerranée, c’est une nouvelle géographie de la finance climat.
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Article rédigé en collaboration avec la Fondation ELYX, sous l'égide de la Fondation Bullukian. ELYX est Ambassadeur digital des Nations Unies et porteur du programme d'Archipel.

Adeline Pilon, co-fondatrice de la Fondation ELYX, pour promouvoir les valeurs des Nations Unies à travers l'art et l'éducation, où elle dirige des projets innovants à la croisée de la culture, de l'innovation et des ODD.
“In every territory Archipel embraces, the exhibition reveals the remarkable stories that shape each ecosystem
and communities. Impact credits serve to amplify local initiatives, nurturing sustainable growth and creativity."

Yacine Aït Kaci, dit YAK, co-fondateur de la fondation ELYX et créateur de ELYX, petit personnage au sourire joyeux qui s'emploie à faire connaitre les ODD partout dans le monde.
“In our Post-Truth era, the only way to trust what we see, is when it doesn’t pretend to be real.”
Foresteam est un cabinet d'ingénierie environnementale qui intervient sur tous types de territoires, milieux et projets, sans spécialisation exclusive dans le domaine maritime. Nous saisissons l'opportunité de l'Année de l'océan et de notre participation à l'UNOC 3 pour sensibiliser aux interconnexions entre océan et développement durable, dans une démarche de partage et de vulgarisation des connaissances.








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