Face à l'urgence climatique, réduire la dépendance aux énergies fossiles et diminuer les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) sont des objectifs prioritaires. Les projets d’Énergies Renouvelables (EnR), tels que les parcs éoliens et solaires, se multiplient et représentent une solution prometteuse pour répondre à ces enjeux. Cependant, malgré leurs avantages indéniables, ces projets soulèvent des préoccupations environnementales, notamment concernant leur impact sur les sols et les écosystèmes locaux.
L'Agence de la Transition Écologique (ADEME) a pris conscience de ces défis et veut confirmer son rôle incontournable dans la promotion d'un développement énergétique durable, aligné sur les objectifs climatiques nationaux et internationaux. Elle a ainsi développé une méthodologie pour évaluer les impacts des projets EnR de manière rigoureuse et exhaustive. Cette méthodologie constitue un outil essentiel pour les porteurs de projets, leur permettant d'intégrer pleinement la dimension climatique dans leurs études d'impact. En offrant un cadre structuré et des outils de mesure précis, l'ADEME aide à concilier la production d'énergie renouvelable avec la préservation de l'environnement.
Rédigé en collaboration avec l'ADEME, nous vous présentons dans cet article cette nouvelle méthodologie, avec un focus sur les stocks de carbone. Nous terminerons par ses limites et les perspectives attendues.

Présentation de la nouvelle méthodologie ADEME
La méthodologie développée par l'ADEME vise à fournir aux porteurs de projets photovoltaïque ou éolien, un cadre détaillé et rigoureux pour intégrer, dans le bilan GES de leur installation, l’impact du changement d'affectation des sols (ex : défrichement, modification de la gestion de la végétation), sur les stocks et puits de carbone naturels.
En effet, les sols et la végétation présents sur un site d’installation peuvent représenter d’importants stocks de carbone : de quelques dizaines de tC/ha pour les milieux les plus artificialisés à plus de 100, voire 200 tC/ha pour les forêts et les zones humides. Pour un parc solaire installé en milieu forestier, leur perte peut entrainer un rejet net de carbone de plusieurs dizaines de gCO2 par kWh sur la durée de vie de la centrale. Dans les cas les plus défavorables, ces émissions sont ainsi du même ordre de grandeur que les émissions liées à la fabrication, l’installation, l’exploitation et au démantèlement d’une centrale en France.
L'objectif principal de cette méthodologie est de permettre une évaluation complète et précise, couvrant toutes les phases du projet, depuis la conception jusqu'à la réhabilitation du site. Elle s'applique spécifiquement aux projets éoliens et photovoltaïques terrestres.
La méthodologie se décompose en cinq étapes clés qui garantissent une analyse exhaustive des impacts :
Définition du périmètre du projet
Cette étape initiale consiste à identifier les frontières spatiales, temporelles et opérationnelles du projet. Il s'agit d'une étape cruciale pour s'assurer que toutes les variables pertinentes sont prises en compte dès le départ.
Description de l'état initial de l'environnement
Il est essentiel de dresser un tableau précis de l'environnement avant le démarrage du projet. Cette description sert de référence pour évaluer les changements induits par le projet.
Définition de scénarios avec et sans projet
La méthodologie exige l'élaboration de scénarios alternatifs. Ces scénarios permettent de comparer les situations hypothétiques, avec et sans la réalisation du projet.
Quantification des évolutions des stocks de carbone
Cette étape se concentre sur la mesure précise du stock carbone et de son évolution en fonction des évolutions d'occupation de sols et de la dynamique du projet.
Calcul de l'impact du projet :
Il s'agit enfin de comparer les émissions cumulées dans les scénarios avec et sans projet, permettant une évaluation claire de l'impact net du projet.
Cette méthodologie de l'ADEME offre ainsi un outil structuré qui aide les porteurs de projets à intégrer de manière proactive la dimension climatique dans leurs études d'impact, tout en promouvant des pratiques plus durables et respectueuses de l'environnement.

Focus sur les stocks de carbone
Les stocks de carbone sont un élément central de la méthodologie ADEME, reflétant l'importance de comprendre et de gérer les impacts environnementaux des projets EnR.
Les effets des projets Enr sur les stocks de carbone
Les projets d'énergie renouvelable peuvent avoir des effets significatifs sur les stocks de carbone, en particulier en modifiant l'occupation des sols. Ces impacts se manifestent principalement de deux manières :
Le déstockage de carbone, comme dans le cas du défrichement de terrains ;
Le stockage additionnel, qui peut être favorisé par des initiatives telles que la plantation de haies.
Pour quantifier ces impacts, la méthodologie de l'ADEME propose une approche comparative, analysant les scénarios avec et sans projet pour déterminer les changements dans les stocks de carbone. Cela implique une évaluation détaillée de l'occupation des sols et des pratiques de gestion avant et après l'implantation du projet.
En utilisant des données spécifiques à chaque type d'occupation du sol, cela permet aux porteurs de projets d'identifier les meilleures pratiques pour minimiser les pertes de carbone et maximiser le stockage additionnel.
La stratégie adoptée pour gérer les impacts sur les stocks de carbone
L'une des stratégies clés pour gérer les impacts sur les stocks de carbone est l'application des mesures d'Évitement, de Réduction et de Compensation (ERC). La hiérarchie des mesures ERC met l'accent sur l'évitement des impacts, en priorisant la préservation des milieux naturellement riches en carbone, tels que les forêts et les zones humides.
En phase de conception, des exemples concrets de bonnes pratiques incluent un diagnostic initial du site permettant d’identifier les habitats et les sols riches en carbone à éviter, la planification de la largeur des inter-rangs et de la hauteur de panneaux pour minimiser les impacts de l’ombrage et de l’exclusion de pluie sur la végétation, l'adoption de techniques de défrichement sélectives qui préservent autant que possible la végétation.
Pendant la phase de construction, il s’agit de limiter au minimum les perturbations des sols et les zones à nue, et là où ce n’est pas possible, de prévoir des mesures contre l’érosion et d’anticiper la restauration post-construction via le stockage temporaire des horizons (couches) de sols, en particulier les horizons de surfaces les plus riches en carbone.
Enfin, en phase d'exploitation, des pratiques de gestion durable, comme le maintien d’une couverture végétale permanente et diversifiée, la limitation du nombre de fauche et la plantation de haies, contribuent à renforcer le stockage de carbone et à soutenir la biodiversité du site.
Ainsi, en intégrant ces considérations dans leurs projets, les porteurs de projets d’EnR peuvent non seulement réduire leur empreinte carbone, mais aussi contribuer activement à la préservation des écosystèmes locaux.
Limites et perspectives
La méthodologie de l'ADEME, bien qu'innovante et rigoureuse, présente certaines limites qu'il est important de reconnaître pour une application optimale.
Les limites de la méthodologie de l'ADEME
L'une des principales limites réside dans l'incertitude inhérente à la précision des données sur les stocks de carbone.
La méthode s’appuie sur les références disponibles à l’échelle des communes dans l’outil ALDO, qui capitalise les données issues de l’inventaire national forestier de l’IGN et du réseau de mesure de la qualité de sols de l’INRAe. Ces références de stocks de carbone sont représentatives de grands types d’occupation de sols et de grands contextes pédoclimatiques, mais ne tiennent pas compte de la variabilité locale (ex : position topographique, gestion forestière spécifique), alors que les dynamiques de stockage et de déstockage de carbone sont complexes et peuvent varier à une échelle très locale.
L’utilisation de ces références peut induire dans certains cas des marges d'erreur importantes. De plus, les données sont actuellement disponibles en métropole et pourraient bénéficier d'un élargissement pour inclure les spécificités des départements et régions d'outre-mer (DROM), où les conditions climatiques et écologiques peuvent différer largement. Une telle extension permettrait de mieux répondre aux besoins locaux et d'intégrer des données plus fines, améliorant ainsi la pertinence et l'efficacité des évaluations.
Les porteurs de projets doivent donc être capables de comprendre et d'interpréter les données complexes relatives aux sols et aux écosystèmes pour prendre des décisions éclairées. Cette exigence souligne l'importance de collaborer avec des experts capables de fournir des analyses détaillées et des conseils sur les meilleures pratiques à adopter.

Les perspectives envisagées
En termes de perspectives, l'ADEME envisage des développements futurs de la méthodologie, notamment l'affinement des données utilisées et l'intégration de nouvelles variables qui pourraient influencer les émissions de GES. Par exemple, l'ajout de données plus détaillées sur la biodiversité ou sur les interactions sol-plantes pourrait enrichir les analyses et offrir une vision plus holistique de l'impact environnemental des projets.
Bien que la méthodologie actuelle soit un pas important vers une meilleure intégration de la dimension climatique dans le développement des projets d’EnR, elle doit être continuellement améliorée et adaptée pour répondre aux défis émergents.
Les porteurs de projets doivent être prêts à investir dans la formation et l'acquisition de compétences spécialisées pour maximiser l'efficacité de cet outil.
En adoptant une approche proactive et en restant ouverts aux innovations futures, ils pourront contribuer de manière significative à la transition énergétique tout en minimisant l'impact sur les écosystèmes naturels.
Enfin, compte tenu de sa rigueur et de son exhaustivité, cette méthodologie ADEME est susceptible de jouer un rôle central dans l'évaluation des projets EnR par les services de l'État.
L'intégration de la mesure d'impact climatique dans l'étude d'impact, rendue obligatoire par les articles L122-1, 122-3 et 122-5 du Code de l'Environnement, implique que les porteurs de projets devront fournir une analyse approfondie de l'impact de leurs installations sur le climat. La méthodologie ADEME, en offrant un cadre d'analyse précis et reconnu, pourrait ainsi devenir un standard de référence pour les services de l'État chargés d'examiner la validité des projets EnR.
Conclusion
La méthodologie de l'ADEME pour l'évaluation des impacts des projets d’EnR représente un progrès significatif dans la prise en compte des enjeux climatiques dans le développement des énergies renouvelables. Elle offre un cadre structuré et rigoureux permettant d'évaluer de manière exhaustive l'impact de ces projets sur les stocks de carbone.
Cette méthodologie aide non seulement à quantifier les impacts, mais elle fournit également un guide précieux pour élaborer des stratégies d'atténuation et de compensation, essentielles pour réduire l'empreinte écologique des installations énergétiques. En adoptant cette méthodologie, les porteurs de projets disposent d'un outil qui les aide à mieux intégrer les considérations environnementales dans leurs processus de planification et de décision. Cela est particulièrement crucial dans un contexte dans lequel les attentes des parties prenantes, des régulateurs et du public en matière de durabilité et de responsabilité environnementale sont de plus en plus élevées.
En utilisant cette méthodologie, les développeurs peuvent démontrer leur engagement envers des pratiques plus durables, ce qui peut renforcer leur acceptabilité sociale et leur positionnement sur le marché. Cependant, pour tirer pleinement parti de cet outil, il est essentiel de reconnaître et de surmonter les limites identifiées, telles que la précision des données sur les stocks de carbone et la complexité des dynamiques écologiques. L'engagement envers une amélioration continue de la méthodologie, par l'intégration de nouvelles données et l'extension à de nouveaux contextes géographiques, comme les DROM, sera crucial pour son succès à long terme.
L'appel à l'action pour les porteurs de projets est clair : intégrer cette méthodologie dans leurs pratiques pour non seulement minimiser l'impact carbone de leurs installations, mais aussi pour maximiser leur contribution à la transition énergétique. Il est également crucial de collaborer avec des experts en écologie et en pédologie pour garantir une application précise et efficace de l'outil. La méthodologie ADEME ne représente pas seulement un outil d'évaluation, mais un levier stratégique pour conduire des projets EnR qui respectent l'environnement tout en répondant aux besoins énergétiques actuels et futurs.
Elle incarne une approche responsable et durable de la transition énergétique, essentielle pour construire un avenir dans lequel la production d'énergie renouvelable et la préservation de l'environnement coexistent harmonieusement.
Article co-rédigé avec Thomas ENGLIN, coordinateur du pôle "Sols, Paysages et Impacts environnementaux" au sein de la direction Bioéconomie et Énergies Renouvelables de l’ADEME.
Accédez aux ressources :
Retrouvez le rapport final de la méthodologie : Projets photovoltaïques, éoliens et changement d'affectation des terres sur les sites - La librairie ADEME.
Spécifiquement pour le photovoltaïque, l’intégration de la méthode a été formalisée dans le cadre de l’évaluation du bilan de GES d’un projet photovoltaïque : Evaluer le bilan GES d'un projet photovoltaïque au sol - La librairie ADEME.
Comments